dimanche 6 septembre 2009

Bear Harbour: la Mer

C’était un beau mardi et la mer manifestait. Elle avait pris le funiculaire, pris un ticket famille à la station du port, et la voilà qui défilait, avec ses houles blondes, son écume, ses poissons bondissants et ses épaves brunes. Tempêtant de revendications, elle arpentait aller retour les rues de Bear Harbour, réclamant à la volée le dimanche de repos et les congés payés. Des gosses rigolards encadraient la manifestation, service d’ordre en culottes courtes et en marinière, jouant avec les vagues, et faisant très attention à ne pas se mouiller les pieds dans les slogans humides que scandaient en cadence sur le pavé le flux et le reflux. Incrédules, les vieilles regardaient passer les baleines, le nez collé contre les carreaux de leur rez-de-chaussée. Elles avaient peur pour leur cuisine, leurs rideaux, et le vieux caniche à coté d’elles qui aboyait aux merlans, mais aucune inondation n’était à déplorer. La mer prenait les rues certes, mais elle n’avait pas le toupet d’entrer là où elle n’avait pas été invitée. Les ouvriers, coincés dans leurs immeubles et leurs pensions de familles, avaient sorti les chaises longues et pique-niquaient sur le seuil, profitant pour une fois d’avoir la plage au pas de leur porte. Nichées sur la margelle des fenêtres du premier, les filles du lupanar péchaient, les jambes dans le vide et la canne à la main, se passant de l’une à l’autre une longue cigarette baguée d’or et nimbée de volutes.
En haut de la rue Mouffetard, quelques officiels endimanchés, tout en écharpes et en chapeau mou, essayaient de raisonner la rebelle et ses ressacs. Il lui lançait de vagues promesses, essayant de noyer le poisson. Et comme la mer a une tête pleine d’eau, elle les crut, comme toujours, leur promettant de revenir battre le pavé, si rien n’était fait d’ici la lune nouvelle.

« Quand les habitants de Bear Harbour racontent leurs histoires, on les traite souvent d’alcooliques, de fils d’alcooliques, et de petits-fils d’alcooliques etc.… Mais que voulez-vous? Quand toutes ces sardines, après la manifestation, ont voulu se détendre un peu dans mon bouge, devant une bière et une strip-teaseuse, j’ai encaissé leurs doublons concrétionnés arrachés à quelques épaves pirates, puis j’ai fait verrouiller les portes. Alors, ne me demandez pas quel est le plat du jour… »

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